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Gérard Leser
h i s t o r i e n f o l k l o r i s t e
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Gérard Leser raconte le monde merveilleux de l'Alsace
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Il y a longtemps de cela deux vignerons de Gueberschwihr se sont retrouvés dans une grande détresse, car les vendanges avaient été catastrophiques, et ils n'avaient plus une goutte de vin dans leurs tonneaux et plus aucune piécette d’argent dans leur porte-monnaie. Poussés par la nécessité ils ont décidé de s’emparer du trésor enfoui dans les ruines du château de Schrankenfels au-dessus de Soultzbach-les-Bains, de l’autre côté de la montagne.
Mais pour ce faire, il fallait entrer en contact avec le Diable, propriétaire de tous les trésors contenus dans la terre, ce qui n’était pas une mince affaire.
Ils se rendirent chez l’homme le plus âgé du village qui s’y connaissait en affaires de sorcellerie et lui demandèrent comment il fallait faire pour rencontrer le Diable. Il leur dit qu’il fallait se rendre lors d’une nuit sans lune à un endroit où se croisent plusieurs chemins, tracer un cercle avec de la craie bénite, se mettre à l’intérieur de ce cercle, et à minuit pile réciter la prière de saint Christophe à l’endroit et l’envers, car le Diable est le maître du monde à l’envers.
Après s’être longuement entraînés à réciter sans la moindre hésitation la prière de saint Christophe à l’endroit comme à l’envers, ils choisissent une nuit noire, se rendirent au carrefour, emportant avec eux de la craie bénite et une bouteille pleine d’eau bénite au cas où le Diable serait par trop entreprenant ou mal luné. Ils tracent le cercle, se disposent à l’intérieur, récitent la prière de saint Christophe à minuit pile ; ils entendent un formidable craquement, la terre s’ouvre et le Diable leur apparaît entouré de flammes. Ils lui expliquent leur souhait, et le Diable leur donne son accord, à condition de monter à minuit pile la nuit de Noël dans les ruines du château, et de leur recommander d’être très courageux, de ne pas craindre ce qu’ils verront, et de ne dire aucun mot ni de pousser le moindre cri, et le trésor sera à eux.
Nos deux compères comptaient déjà en rêve les écus sonnants et trébuchants et ils se voyaient riches comme Crésus. Après des semaines d’impatience, la grande nuit est enfin arrivée, les chasseurs de trésors se mettent en route le cœur battant et la peur au ventre.
Il faisait nuit noire quand ils sont arrivés au pied du donjon ruiné du château. Au douzième coup de minuit alors que toutes les cloches de la région annoncent la naissance de Jésus, ils voient le ciel s’ouvrir et les anges jouer de la musique, mais cette musique est tellement belle qu’ils en sont tout transportés ; jamais de leur vie ils n’ont entendu quelque chose d’aussi beau. Puis la terre se met à trembler à leurs pieds, une lumière d’une clarté exceptionnelle monte vers le ciel et un coffre rempli de pièces d’or et d’argent monte lentement des profondeurs de la terre vers eux. Ils veulent déjà se jeter sur le trésor quand soudain un bruit les fait sursauter : au-dessus de leurs têtes, le Diable est assis au sommet du donjon, et il tient dans une de ses mains un fil de soie au bout duquel est suspendue une énorme meule de granite, et dans l’autre main il a une paire de ciseaux avec laquelle il fait mine de couper le fil de soie. Un cri échappe de la bouche d’un des deux vignerons : « Jéses, Maria », ce qu’il ne faut jamais dire en présence du Diable ! Aussitôt le ciel se referme, la lumière disparaît et le trésor s’enfonce dans la terre. Les deux vignerons ne se retrouvent pas plus riches qu’avant. Dépités et tristes ils rentrent à la maison, se jurant bien qu’on ne les reprendrait pas à ce jeu là.
Le trésor se trouve toujours dans les ruines du Schrankenfels, mais personne n’a eu jusqu’à présent le courage de s’en emparer.

d’après Paul STINTZI, Die Sagen des Elsasses, Band III, 1940, pp. 79-81