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Gérard Leser
h i s t o r i e n f o l k l o r i s t e
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Gérard Leser raconte le monde merveilleux de l'Alsace
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L’une des grands-mères du Diable était alsacienne, elle lui avait transmis en héritage le village de Ferrette dans le Sundgau et celui de Barr dans le vignoble bas-rhinois.
Cela amenait régulièrement le Diable à rendre visite au pays de sa grand-mère, pour y revoir des paysages, mais aussi pour vérifier si ses affaires se portent bien.
Car le Diable est un peu banquier et banquier en âmes, ce qui l’intéresse, c’est d’accumuler le maximum d’âmes sur ses comptes en banque. Mais en Alsace la concurrence était rude et ses employés faisaient souvent grise mine.
Contrarié dans ses projets, le Diable, pris d’une terrible colère dont il avait le secret, décida de faire un grand voyage à travers l’Europe, question de prendre un peu de recul et d’aller voir ailleurs si ses banquent fonctionnaient mieux.
Mais pour voyager, il faut un véhicule solide, fiable, et qui soit capable de transporter un voyageur aussi particulier et exigeant que le Diable.
Après s’être creusé la tête, le Diable ne vit qu’une solution : prendre comme cheval le vent. Car, y a-t-il meilleur coursier que lui ? Or, le vent pour tout dire n’était guère enchanté par la proposition du Diable ; promener le Diable n’était pas une mince affaire, et en plus le vent avait beaucoup de travail. Après de longues négociations tenues secrètes, le vent accepta d’être le cheval du Diable pendant une semaine exactement.
Et les voilà qui s’envolent pour faire un grand tour des capitales de l’Europe. Ils s’arrêtent à Paris, Berlin, Varsovie et bien d’autres villes encore, et partout c’est le même constat désabusé pour le Diable : les employés étaient déprimés et la concurrence impitoyable. Sentant monter en lui une colère infernale, il propose à son cheval le vent de prendre la direction de Copenhague pour y boire une bonne bière, les flammes de l’enfer ayant attisé sa soif.
Installé dans une Bierstub, incognito, il savoure une excellente bière quand tout à coup, deux commerçants, de retour de Strasbourg, y entrent et il entend avec stupéfaction qu’à Strasbourg les habitants sont en train de construire une cathédrale. Il manque d’avaler de travers, oublie de payer sa bière, fonce sur Strasbourg et bientôt le Diable aperçoit l’immense chantier de la cathédrale au cœur de la ville. Vite, il attache son cheval le vent à un poteau, lui promettant de revenir au plus tard dans deux heures. Il entreprend l’exploration systématique du chantier de la cathédrale. Il est admiratif devant le travail des architectes et des maçons ainsi que des tailleurs de pierre, apprécie qu’une statue le présente sous son meilleur profil sur le portail sud (bien que l’échancrure de son manteau montre des crapauds et des serpents). Piqué au vif et frémissant d’impatience et de curiosité, il entre dans le sanctuaire dont les sculpteurs et les charpentiers sont en train de terminer la nef et le toit imposant qui la couvre. Le Diable est béat d’admiration devant le pilier des anges musiciens, regrettant simplement que ce ne soient pas des diablotins.
Mais il a oublié un détail important, une cathédrale est faite pour y lire la messe et soudain, il entend sonner les clochettes qui annoncent qu’une messe est en train de se dérouler. Aussitôt, il est enfermé dans une des grandes colonnes de grès qui supportent le toit de la nef, et l’on raconte que quand le Diable y est entré, la colonne s’est fissurée, et que depuis ce jour, il y a constamment des travaux de restauration en cours sur la cathédrale.
Il y est resté enfermé pendant quelques siècles, puis à réussi à s’enfuir, oubliant son cheval le vent. Celui-ci lassé d’attendre son maître et piaffant d’impatience, a depuis arraché la corde l’attachant au poteau du chantier de la cathédrale et il s’est mis à courir autour d’elle, cherchant désespérément le Diable qu’il n’a toujours pas retrouvé.

d’après Fritz BOUCHHOLTZ, Elsässische Stammeskunde, 1944, Weimar, pp. 246-247