h i s t o r i e n f o l k l o r i s t e
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Gérard Leser raconte le monde merveilleux de l'Alsace
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Il y a de cela plusieurs centaines d’années, vivait dans la Wolfshöhle (Gorge-
aux-loups), une caverne qui pénètre profondément dans la montagne et qui
est située entre les falaises de la Heidenflüeh, à une demi-heure environ de
Ferrette, un petit peuple de gnomes qui avait installé ses demeures dans les
nombreuses chambres souterraines.
Ils y vivaient par deux, petit homme, Erdmannala, et petite femme, Erdwibala,
dans un bel esprit de concorde. Tous leurs outils domestiques, mais surtout
ceux qu’ils utilisaient pour les travaux des champs et des jardins, étaient
fabriqués en argent pur et brillant.
Les gnomes jouissaient depuis des temps immémoriaux d’une éternelle
jeunesse. Tous ceux qui étaient amenés à les voir, louaient leur belle
apparence et surtout l’éclat original de leurs yeux qui scintillaient comme
des étoiles. Ils vivaient sans enfants et ils aimaient sortir de leur solitude de
temps à autre, pour entrer en relation avec les hommes des environs, dont ils
imitaient la langue avec leurs petites voix fines et bienfaisantes.
A l’époque des récoltes du foin et des moissons de céréales, ils sortaient
habituellement dans un grouillement multicolore, de leurs cavernes,
équipés de leurs outils de travail et s’associaient aux faucheurs, se mettant
sur la même rangée qu’eux. Et les blés coupés se couchaient en grand nombre
sous leurs coups de faucilles.
Dans les villages avoisinants, presque chaque ménage avait son couple de
gnomes, qui prenait part à ses événements heureux et malheureux. Quand ils
franchissaient le seuil c’était à chaque fois des cris de joie dans la maison et
au moment du départ, ils laissaient de riches cadeaux pour tous les habitants,
qu’ils soient vieux ou jeunes.
Les gens se montraient plein de gratitude pour leurs petits bienfaiteurs. Ils
leurs accordaient les premières places lors des kilbes, chilbi, et des repas de
mariage et leurs proposaient les meilleurs morceaux ainsi que les breuvages
les plus sucrés qu’ils avaient dans leurs provisions.
Une chose cependant leur déplaisait chez les gnomes : ceux-ci portaient de
longues robes qui allaient jusqu’à terre, de telle manière qu’on ne voyait
jamais leurs pieds.
Au bout d’un moment, la curiosité, die Wunderfitzigkeit, de quelques jeunes
filles qui voulaient absolument savoir comment ces pieds étaient faits, ne leur laissa plus de répit.
Elles se rendirent un matin avant le lever du soleil à
la Wolfshöhle et saupoudrèrent avec du sable fin la large plate-forme
rocheuse qui se trouvait alors à l’entrée de la caverne.
Depuis longtemps, elle n’est plus qu’un immense amas d’éboulis. Elles
pensaient que quand les gnomes feraient leur promenade matinale en forêt,
leurs pieds laisseraient des empreintes sur le sable et qu’ainsi elles
tireraient l’affaire au clair.
Puis elles se cachèrent dans les buissons et se mirent à l’affût. Dès que les
premiers rayons du soleil tombèrent sur l’entrée de la caverne et la
réchauffèrent, les gnomes Erdmannala un Erdwibala en sortirent deux par
deux, en gambadant, et allèrent comme à l’accoutumée se promener dans la
forêt, en passant par la plate-forme rocheuse.
Et alors, les jeunes filles virent qu’ils avaient laissé des empreintes de pattes
de chèvres dans le sable. Cela les fit rire aux éclats, tellement fort que les
gnomes l’entendirent. Ils retournèrent sur leurs pas et se rendant compte
de la trahison, ils s’enfoncèrent, avec des visages tristes, dans les
profondeurs de la montagne.
Depuis ce jour, plus personne ne les a revus. Et bien souvent les humains
auraient eu besoin de l’aide des petits habitants de la montagne.
August Stoeber, 1858, pp.4-5, Jean Variot, 1936, p.267
Paul Stintzi, i, 1930, pp.11-13, Gabriel Gravier, i, 1986, pp.129-131